Dans un récent rapport, l’association Notre Affaire à Tous partage les résultats d’une étude fouillée sur les risques climatiques et environnementaux auxquels sont exposées les personnes détenues. Elle conclut à l’incompatibilité d’une politique d’« enfermement massif » avec « la nécessaire adaptation de notre société aux conséquences du changement climatique ».
« C’est une menace globale : aucune prison française n’échappe aux risques climatiques ». Le constat posé par Notre Affaire à Tous dans un rapport publié en juillet est on ne peut plus clair[1]. Le milieu carcéral constitue même, avertit l’association, un « cas d’école en devenir » des inégalités en termes d’impact de la crise climatique. Un an auparavant déjà, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) soulignait la nécessité de réformer les prisons au regard de la crise climatique, qui « affecte surtout les plus vulnérables », dont font partie les personnes détenues[2].
Totalement dépendantes de l’administration pénitentiaire, les personnes incarcérées sont en effet dans l’impossibilité de se protéger elles-mêmes des risques extérieurs. Le cas américain de l’ouragan Katrina en 2005 est à ce titre éloquent : le personnel avait évacué la Orleans Parish Prison en laissant les milliers de personnes détenues « sans nourriture, sans eau, sans [aération] et sans électricité, en dépit de l’inondation », note le rapport[3]. Outre le risque direct pour la vie des personnes captives, de tels événements climatiques peuvent aussi rendre les bâtiments pénitentiaires inaccessibles, par exemple pour les proches, les extractions médicales ou encore la livraison des denrées nécessaires à la vie quotidienne.
Autre important terreau de vulnérabilité : la concentration chez les personnes détenues de nombreuses inégalités, notamment économiques, sociales ou en termes de santé. Si les personnes précaires ont plus de probabilités d’être incarcérées[4], elles sont aussi les moins à même de pouvoir cantiner un ventilateur, par exemple. Leur état de santé est par ailleurs souvent plus dégradé, affectant leur capacité à faire face aux risques climatiques et environnementaux.
Des données inédites
Avec ce rapport, Notre Affaire à Tous étaye de manière inédite l’exposition particulière des personnes détenues à six risques climatiques extrêmes et trois risques environnementaux dus à des pollutions produites par l’activité humaine. On apprend ainsi, par exemple, que plus de la moitié des prisons de la direction interrégionale de Marseille sont exposées au risque d’inondation, que près de neuf prisons d’Outre-mer sur dix sont concernées par le risque de tempêtes et de cyclones, et que trois prisons enfermant plus de 1 500 personnes sont implantées dans une zone qui risque d’être sous le niveau de la mer du fait du dérèglement climatique. Autant de dangers qui n’ont « rien à voir » avec la privation de liberté à laquelle les personnes détenues ont été condamnées, et qui conduisent l’association à dénoncer une « double peine ».
Pour chacune des 188 prisons françaises, Notre Affaire à Tous croise ces données avec huit problématiques propres au milieu carcéral qui, rendant déjà au quotidien les conditions de détention indignes, renforcent aussi la vulnérabilité des personnes enfermées face à ces risques (voir visuel). Le travail de documentation de l’association révèle qu’en moyenne, une prison est soumise à plus de la moitié de ces dysfonctionnements, et que 15 établissements les cumulent tous. Au premier rang, la surpopulation carcérale chronique, qui renforce à elle seule l’ensemble des autres facteurs aggravants en réduisant l’accès à l’hygiène et aux soins, en accélérant l’usure et le vieillissement du bâti, ou encore en rendant plus difficile toute évacuation. « En cas de manque de personnel pour gérer l’évacuation d’une prison remplie à 200% menacée par un incendie, une tempête ou une inondation, que se passe-t-il ? », interroge le rapport.
Parmi les risques identifiés, il en est un qui concerne la totalité des prisons françaises, et qui a déjà chaque année des conséquences dramatiques pour les personnes détenues : la canicule (voir encadré). Enfermées, elles ne peuvent pas se rendre dans un lieu plus frais. Et les effets de la canicule sont encore accentués par l’ensemble des facteurs aggravants identifiés : les fenêtres cassées rendent impossible l’aération de la cellule ou leur fermeture aux heures les plus chaudes ; les douches collectives sont souvent maintenues au minimum légal de trois par semaine, limitant la possibilité de « se rafraîchir et faire baisser la température corporelle » ; les horaires des promenades sont rarement adaptés, tout comme la conception même des cours de promenade, « entièrement bétonnées, sans arbres, parfois même sans auvent ou préau permettant de s’abriter, ou sans accès à une source d’eau fonctionnelle » ; les problèmes d’accès à l’électricité rendent parfois impossible ou dangereux d’« alimenter un réfrigérateur et maintenir les aliments au frais, ou [de] faire fonctionner un ventilateur par exemple », etc.
Face au changement climatique, le bourbier de la construction de prisons
Alors qu’il est de la responsabilité de l’État de protéger les citoyens et citoyennes, l’association dénonce des politiques publiques centrées sur la construction de nouvelles prisons, qui « ne répond[ent] ni aux enjeux actuels ni aux enjeux futurs » auxquels sont confrontées les établissements pénitentiaires. Le rapport rappelle d’abord que les nouvelles prisons ne sont pas épargnées par les problèmes d’infrastructure comme les défauts d’isolation, ni par la surpopulation carcérale, qui accélère la dégradation du bâti[5]. Incapables de remédier à ces problématiques, les nouvelles places de prison sont en outre financées au détriment d’investissements orientés vers les « besoins immenses et urgents de rénovation et de réhabilitation des bâtiments existants au regard des conditions de détention indignes et de leur exposition à certains risques (inondation, incendie…)[6] ».
Surtout, pointe l’étude, les prisons récemment construites ne sont, pas davantage que les anciennes, pensées pour faire face aux risques climatiques et environnementaux. Leur implantation n’est pas adaptée – ou insuffisamment – aux risques connus, avec des aménagements souvent a minima et des études qui « ne prennent pas toujours en compte le changement climatique qui rend plus fréquents des événements considérés jusqu’ici comme exceptionnels ». La prison d’Orléans-Saran, illustre le rapport, a ouvert en 2014 avec une capacité de 768 places, dans une zone inondable connue : « un bassin de rétention et des fossés ont été construits mais le risque a été sous-estimé », entraînant l’inondation de la prison à la suite de pluies importantes en 2016.
Dans certains cas même, les nouveaux établissements « cumulent davantage de risques et nuisances environnementales ». En particulier en raison de leur implantation en zone d’activités, parfois à proximité directe de sites industriels classés pour les dangers qu’ils présentent pour l’environnement, la santé et la sécurité publique, comme le risque d’explosion ou d’émanation de produits toxiques. À noter que les normes de sécurité applicables aux lieux d’habitation ne concernent pas les prisons, qui ne sont pas considérées « comme des bâtiments de logement ou d’hébergement ».
Non seulement la localisation de certaines nouvelles prisons aggrave l’exposition des personnes détenues à ces risques, mais elle renforce aussi leur vulnérabilité pour y faire face. L’éloignement des centres urbains accentue en effet les difficultés d’évacuation. Et ce, au nom d’économies – sur le foncier notamment – et de l’invisibilisation de « personnes vues comme indésirables dans l’espace public » et « considérées comme des nuisances » pour le voisinage.
Enfin, comme pour boucler la boucle, les nouvelles constructions – comme celles prévues à Muret (Occitanie) et à Noiseau (Île-de-France) – sont à l’origine de dégâts écologiques à travers l’utilisation de zones naturelles ou agricoles, ou la destruction d’espèces protégées[7]. De manière plus générale, les autrices du rapport notent que « les informations accessibles au public sur l’impact environnemental de ces projets sont souvent insuffisantes, comme cela est reproché par l’Autorité environnementale dans le cas du projet de construction de la nouvelle prison d’Angers sur la commune de Loire-Authion. »
Des recommandations drastiques
Aussi, la recommandation principale formulée par Notre Affaire à Tous consiste à mettre un terme à une politique d’« enfermement massif », qui n’est « ni compatible avec le respect des droits humains, ni compatible avec la nécessaire adaptation de notre société » aux conséquences du changement climatique. Au-delà de l’approche utilitariste, selon laquelle la protection des personnes détenues « est aussi une des conditions de l’efficacité de la peine », l’association insiste : « c’est bien un principe d’humanité et le simple respect des droits les plus fondamentaux qui imposent de prendre en compte les risques climatiques et environnementaux » encourus par les personnes détenues, leurs familles et le personnel pénitentiaire.
En attendant, 17 pistes d’actions destinées à répondre rapidement à ces enjeux sont exposées. Certaines sont d’ordre général : identifier les prisons les plus vulnérables « afin de prioriser leur fermeture, leur réfection ou leur aménagement », « assurer l’accès à l’information et la transparence des données » concernant les actions de prévention et d’atténuation des risques mises en œuvre, ou encore en finir avec la surpopulation carcérale « afin d’éviter d’aggraver la vulnérabilité déjà forte de la population carcérale au changement climatique ». D’autres recommandations sont plus précises et détaillées. Pour adapter les prisons aux conséquences des canicules, il faudrait par exemple « allouer un budget aux projets ambitieux d’isolation thermique », « faire connaître et veiller à l’application effective du plan canicule » mais aussi « suspendre ou aménager les peines en cas d’état de santé incompatible avec la chaleur. » Au travail !
Par Prune Missoffe
[1] Notre Affaire à Tous, Double peine : les risques climatiques et environnementaux dans les prisons françaises, juillet 2024. Avec des fiches détaillées par établissement et par direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp).
[2] “Prisons and the climate crisis: more than 40 Member States gather on Nelson Mandela Day 2023”, UN Office on Drugs and Crime, 18 juillet 2023.
[3] En France, des prisons ont déjà dû être totalement évacuées pour cause d’inondation, par exemple la maison centrale d’Arles en 2003 et la prison de Draguignan en 2010. Cette dernière n’a jamais réouvert.
[4] Voir « La justice française n’est pas juste », Observatoire des inégalités, 15 mai 2018. Par exemple, les personnes touchant moins de 300 € par mois ont, à infraction égale, 3,2 fois plus de risques d’être condamnées à de la prison ferme que celles touchant au moins 1500 € par mois.
[5] Voir par exemple Florian Garcia, « Prison de Fleury-Mérogis : le nouveau centre de détention ferme, les détenus sont transférés », Le Parisien, 26 septembre 2024.
[6] « Politique pénitentiaire : la fuite en avant continue », Dedans Dehors n° 121, décembre 2023.
[7] Anne-Laure Pineau, « Construction de nouvelles prisons : une mauvaise solution pour l’environnement ? », Actu-Juridique, 19 mai 2023.
[8] « Canicule en prison : la brûlante indignité des conditions de détention », Dedans Dehors n° 120, octobre 2023.